Pourquoi les acteurs de la santé doivent repenser leur approche des outils numériques ?

En 2011, le gouvernement français lançait le Dossier Médical Partagé (DMP), un outil numérique santé ambitieux destiné à centraliser les informations médicales des patients pour faciliter la coordination des soins.

Malgré les moyens engagés, son adoption est restée marginale pendant près d’une décennie : obstacles techniques, manque d’interopérabilité, complexité d’usage, faible appropriation par les professionnels de santé.

En 2022, le dispositif a été remplacé par Mon Espace Santé, censé relancer cette dynamique avec une approche plus intégrée.

Ce cas illustre parfaitement les défis que pose l’implémentation d’outils numériques standardisés dans un écosystème aussi exigeant que celui de la santé. Il met en évidence la nécessité, pour certains acteurs, de repenser leur approche numérique en privilégiant des solutions plus contextualisées, adaptées aux usages réels et capables de suivre les évolutions techniques, fonctionnelles et réglementaires.

1 Des outils standardisés, parfois insuffisamment contextualisés

Nombre d’établissements se dotent de logiciels santé standardisés ou de solutions e-santé « clés en main », pour des raisons économiques ou de rapidité de déploiement. Cependant, ces solutions sont souvent conçues avec une focalisation excessive sur les aspects techniques et fonctionnels, au détriment de leur intégration dans des organisations humaines complexes. Sans invalider l’intérêt des offres du marché, on constate qu’un même outil numérique santé peut produire des résultats très variables selon le terrain sur lequel il est déployé.

Plus largement, la sous-estimation de la dimension organisationnelle est récurrente. De nombreux projets en santé numérique échouent à se diffuser non en raison de défauts techniques, mais parce qu’ils ont été pensés en dehors des systèmes sociotechniques complexes que sont les établissements de santé.

Autrement dit, un outil numérique, aussi abouti soit-il sur le plan technique, a peu de chances de produire des effets positifs s’il n’est pas pensé en lien étroit avec l’environnement humain, organisationnel et professionnel dans lequel il s’inscrit.

2 Une adoption fragile si les usages sont négligés

Le succès d’un logiciel santé ne dépend pas uniquement de sa conformité technique ou de ses fonctionnalités affichées. Il repose largement sur sa capacité à s’intégrer dans des pratiques professionnelles concrètes, souvent variées et évolutives.

De nombreuses études montrent que les difficultés d’adoption sont fréquentes lorsque les outils numériques sont conçus sans prise en compte suffisante du contexte d’usage. C’est par exemple le cas dans certaines Maisons de Santé Pluriprofessionnelles (MSP), où les professionnels doivent utiliser un logiciel labellisé “pluriprofessionnel” pour accéder à certains financements. Bien que techniquement requis, ce logiciel est souvent vécu comme peu adapté à la diversité des pratiques des équipes, générant des résistances, voire des détournements d’usage.

L’évaluation du dossier pharmaceutique en établissement de santé a révélé une utilisabilité médiocre (62,5/100) et une appropriation faible par les professionnels de santé. Plus de la moitié des répondants déclarent ne l’utiliser que rarement voire jamais. Les répondants soulignaient notamment l’absence d’informations clés, des difficultés d’accès aux données, ou encore la faible couverture des patients disposant d’un dossier actif.
Schuers, M., Timsit, M., Gillibert, A., et al. (2016). « Intérêt et utilisabilité du dossier pharmaceutique en pratique médicale. Enquête auprès de médecins et pharmaciens hospitaliers (étude MATRIX). » Revue D’épidémiologie Et De Sante Publique 64(4): 229-236.

Cette inadéquation ralentit les soins, alourdit la charge mentale, ou pousse à développer des contournements non maîtrisés. Dans un environnement à flux tendus, l’utilisabilité réelle devient un critère aussi déterminant que la performance fonctionnelle ou réglementaire de l’outil.

3 Une conformité réglementaire de plus en plus exigeante

Dans le secteur santé, les outils numériques traitent des données sensibles et doivent répondre à des obligations spécifiques :

  • Hébergement HDS obligatoire pour toute donnée de santé à caractère personnel ;
  • Respect strict du RGPD, avec gestion granulaire des droits et des accès ;
  • Traçabilité des actions, archivage sécurisé, conformité aux référentiels ANS et CNIL.

Or, ces exigences dépassent les simples checklists de conformité : elles structurent les choix d’architecture, de gouvernance et d’interface.

Un outil numérique santé générique, mal configuré ou difficile à faire évoluer, peut rapidement devenir un facteur de non-conformité, ou une source de rigidité difficile à absorber.

4 Adapter les outils aux pratiques, pas l’inverse

Les outils numériques dans le secteur santé ne sont pas de simples supports techniques. Ils structurent des pratiques de soin, interfèrent avec des décisions cliniques, portent des obligations réglementaires lourdes, et modèlent la relation soignant–patient. Cette densité d’enjeux les distingue des logiciels métiers classiques.

Dans ce contexte, tout projet numérique ne nécessite pas un développement sur-mesure, et les solutions e-santé du marché conservent leur pertinence dans de nombreux cas.

Mais certains environnements spécifiques — parcours patients complexes, contraintes réglementaires atypiques, systèmes d’information hétérogènes — appellent des adaptations plus poussées, voire des démarches de co-conception avec les utilisateurs finaux.

C’est ici que se dessine une tendance de fond : adapter les outils numériques aux réalités du terrain, et non l’inverse.

Cela peut passer par :

  • une personnalisation avancée d’un logiciel existant,
  • une approche modulaire pensée pour évoluer avec les usages,
  • ou un développement spécifique, ancré dans une analyse fine du contexte métier.

Ce qui compte, ce n’est pas tant de choisir entre “clé en main” et “sur-mesure”, mais de s’assurer que l’outil, quel qu’il soit, apporte un gain concret d’efficacité, de sécurité et de qualité de service — en cohérence avec les pratiques et les finalités du soin.

En pratique

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Avant de choisir une solution, prenez le temps de :

  • cartographier les usages réels et les contraintes terrain,
  • identifier les points de friction dans vos outils actuels,
  • envisager des adaptations progressives, en lien avec vos équipes métier.

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